Les
Waller font partie des familles noires qui s'installent à New-York au tournant
du XXème siècle. Ils ont quitté leur Virginie natale et souhaitent
s'installer dans une grande ville pour assurer un avenir à leurs enfants.
De 1890 à 1910, ils auront onze enfants dont cinq seulement surviront. Thomas
Wright Waller naît le 21 mai 1904. C'est un garçon très turbulent qui ne
tient pas en place. Très tôt, il aime la musique. Ses parents l'emènent au
temple où il entend des chants religieux, et surtout, l'orgue auquel il restera
attaché toute sa vie. Son père, Edward Martin Waller est pasteur de l'Abyssinian
Baptist Church.
Vers
l'age de 6 ans, il monte parfois chez la voisine et joue sur son piano.
L'instrument le fascine et le gamin exprime franchement le désir de devenir
pianiste. Il y aura très vite un piano dans l'appartement : Thomas, encouragé
par sa mère Adeline, reçoit quelques leçons d'une certaine Miss Perry. Il joue
beaucoup d'oreille car les partitions l'ennuient et il s'exerce sur l'orgue de
l'église ; bientôt, il fera partie de l'orchestre de l'école et obtiendra ses
premiers succès en faisant rire ses camarades. Son père qui veut en faire un
pasteur comme lui, l'emmène voir
Paderewski ; mais Fats (c'est comme ça
que ses copains l'appellent à cause de son embonpoint), préfère le ragtime
de Tom Turpin, Scott Joplin ou encore le piano stride qu'on peut
entendre dans les clubs.
Justement, les Waller vont déménager et s'intaller Lenox avenue, le coeur
de Harlem. Thomas quitte définitivement l'école quand il a 14 ans puis trouve
des petits boulots pour financer ses leçons de piano. Il fréquente assidûment le
Lincoln Theater, sorte de cinéma dans lequel on projette des films muets.
Ce n'est pas tant les films qui l'intéressent, mais plutôt l'orgue ou le piano
qu'on peut entendre pendant la séance. Il dévore des yeux et des oreilles la
pianiste, Miss Mullins, et rêve de la remplacer, ce qu'il fera bientôt, car en
1919, Fats devient l'organiste attitré de l'établissement. Deux années plus tard,
il tiendra également l'orgue du Lafayette pour 50 dollars par semaine.
Il
ne décolle du piano que pour traîner durant la nuit dans Harlem aux abords des
clubs. En 1920, Fats qui a perdu sa mère, est un peu à la dérive. Il quitte le
domicile familial après une dispute avec son père, puis se fait héberger par la
famille Brooks. Russel Brooks est pianiste ; il possède un piano
mécanique et de nombreux rouleaux gravés par Lukey Roberts et James P. Johnson.
Fats s'empresse d'apprendre par coeur ces succès en posant les mains sur les
touches qui s'enfoncent mécaniquement. C'est à cette époque que Thomas Waller
rencontre les célébrités du piano. Wille Smith et surtout, James P
Johnson qui le prend en sympathie et lui donne une solide formation. Fats
construit doucement le rêve de sa vie. Il ne manque pas une occasion de se
glisser au piano pendant les pauses des musiciens et son tempérament enjoué et
facétieux le propulse dans toutes les réunions musicales et rent parties ayant
lieu à Harlem.
C'est probablement en 1922 que Fats réalise ses premiers enregistrements par
l'entremise de Clarence Williams qui l'incite également à composer. Il
grave Muscle Shoals Blues, puis Birmingham Blues écrit
spontanément dans le studio. Il est très à l'aise dans l'exercice de
l'enregistrement et cette première séance révèle aussi d'étonnantes qualités de
mélodiste. Leur première chanson publiée sera Wild Cat Blues. Cette
année là, il accompagne Sara Martin, chanteuse de blues à ses débuts et poursuit
les enregistrements
En
1923, en collaboration avec J. Lawrence Cook, Thomas Waller grave des rouleaux
de pianos mécaniques pour la société QRS (Quality Reigns Supreme). Les
piano-rolls sont très en vogue. Le procédé de fabrication consiste à transcrire
sur un rouleau maître l'empreinte de chaque note jouée pendant l'exécution d'un
morceau. Après quelques corrections ou rajouts, les empreintes sont perforées
par un technicien ; les rouleaux sont alors fabriqués en nombre.
Fats
Waller fait la connaissance d'Andy Razaf, poète et parolier de talent avec qui
il co-signera de nombreux succès. La moinde des mélodies lui inspire les paroles
d'une chanson.. Le tandem présente régulièrement ses compositions aux éditeurs
de musique avec qui les rapports sont parfois orageux. En règle générale, ils
essaient d'acheter les droits pour presque rien ou oublient de payer les
royalties.
En réaction à ces pratiques, Fats et son ami quittent parfois violemment le
bureau en déchirant leur création, ou bien encore, ils acceptent le prix
dérisoire offert par un éditeur, puis présentent la même chanson à un second,
puis un troisième ... leur travail vendu plusieurs fois leur procurant alors un
juste revenu.
Dans ce domaine, Fats a souvent été victime de son insouciance et d'une totale
désorganisation. Son tempérament
spontané et imprévoyant l'amenait parfois à céder pour presque rien une composition qui devenait peu après
un immense succès. C'est
ainsi que, d'après les témoignages de musiciens et de proches, On the sunny side of the street ou
I can't give you anything but love ou encore If I had you, sont
très probablement de sa composition. Il l'a regretté amèrement.
Après un premier mariage duquel naît Thomas Junior son premier fils, Fats Waller épouse en seconde noce Anita Rutherford dont il aura deux autres fils, Maurice et Ronald.
En 1926, il commence à enregistrer pour la firme Victor puis, abandonnant peu à peu les rent-parties, il compose la musique de spectacles musicaux pour Broadway.
Keep Shufflin', puis Load of Coal en 1928 sont des succès qui confirment la notoriété de Fats bien au delà de Harlem. Le duo Waller-Razaf composera également
la musique de Hot Chocolates en 1929 et signera les plus beaux standards walleriens,
Honeysuckle rose, Aint' misbehavin, What did I do to be so black and blue.
En 1931, Fats se rend à Paris et se produit dans quelques clubs. Puis il regagne New York et intensifie les enregistrements pour RCA Victor. Il anime chaque semaine des émissions de radio, joue en public ; très demandé, son succès est immense ... et il chante de plus en plus des airs à la mode.
You're
not the only oyster in the stew Fats Waller (1934)
Le 16 mai 1934, Fats enregistre la première session avec une petite formation,
"Fats Waller and his rhythm". Il ne quittera pratiquement plus cet orchestre et se produira sans relâche à ses côtés pendant 9 années, enregistrant plus de 400 morceaux, animant des radio-shows, apparaissant également dans des films.
Fats dirige l'orchestre avec son éternelle bonne humeur. Sa présence et son énergie donnent à chaque apparition un spectacle percutant dans lequel les musiciens donnent le meilleur d'eux même car il sait les stimuler au détour d'un chorus par un mot, une plaisanterie ou une relance au piano. Tout cela reste très spontané, les répétitions et arrangements étant réduits au strict minimum comme d'habitude.
Your
feet's too big Fats Waller (1939)
Fats Waller est devenu une
star qui roule dans une Lincoln et porte des costumes sur mesure. Chacune de ses apparitions déclenche
rires et applaudissements car Fats aime faire le clown. Il faut voir ce gros bonhomme faire
quelques pas de danse puis montrer son derrière à l'auditoire, avant de reprendre sa chanson en en transformant les paroles. La bouteille de gin qui est posée près du piano se vide chaque soir. Fats est heureux ... ou presque, car il rêve de jouer dans des salles prestigieuses,
devant ce même public qui se presse pour écouter
Georges Gershwin, ou tout autre concertiste classique. Il souffre de ne pas être reconnu pour ses qualités de pianiste et il est parfois las de son image d'amuseur. Il se console alors dans une profusion d'activité arrosée de gin ou de
Old Grand Dad, son bourbon favori.
Don't
let it bother you Fats Waller (1935)
Fats retournera en Europe en 1939, puis poursuivra tournées et enregistrements. En 1942, toujours hanté par l'image du concertiste qu'on écoute religieusement, il s'essaiera au Carnegie Hall de New York, en queue de pie ... ça ne sera pas son meilleur souvenir !
You're
the Top - Russian Fantasy Fats Waller (1935)
En 1943, Hollywood produit Stormy Weather dans lequel il apparaît avec
Lena Horne et Bill "Bojangles" Robinson.
Early to bed sera le dernier Broadway-show dont il composera la musique. Succès.
Dans ce train qui le ramène de Los Angeles, Fats est exténué. Son dernier engagement au Zanzibar Club a dû être interrompu à cause d'une mauvaise grippe. Dans la nuit du 15 au 16
décembre 1943, le train est immobilisé en gare de Kansas City à cause du blizzard qui souffle un froid glacial jusque dans le compartiment où Fats grelotte, inconscient. Ed Kirkeby, son agent et un médecin appelé en urgence constateront sa mort au petit matin.
Stupeur ! Thomas Fats Waller s'est endormi pour toujours. Il avait 39 ans.
références : Ain't Misbehavin, the story of Fats Waller by Ed Kirkeby - Da capo press,
NY Fats Waller, Maurice Waller and Antony Calabrese - Schimmer books NY Fats Waller, Alyn Shipton - Omnibus Press, London
Crédit photos : The Frank Driggs collection, M. Lipskin, S. Grossman, D.Schiedt