Harlem est un quartier de New-York situé au nord de Manhattan. En 1658, Peter
Stuyvesant alors Gouverneur de cette colonie hollandaise avait baptisé l'endroit
"La Nouvelle Haarlem"
Vers
le milieu du XIXème siècle, les fermes avaient peu à peu disparu, laissant place aux demeures cossues d'une population blanche plutôt aisée. Vers 1880-1890, d'énormes programmes immobiliers se multiplièrent. La spéculation
atteignit des sommets, pour se terminer par un véritabe krack dans les années
1904-1905.
Les propriétaires soucieux de récupérer leur investissement, louèrent quelques
logements vacants à des familles noires, puis à la communauté afro-américaine
toute entière qui du même coup, accédait à des conditions de vie plus
décentes.
Cette migration se poursuivit jusque dans les années 20, avec elle, une culture,
des coutumes et des conditions de vies rendues parfois difficiles par le
chômage, les loyers élevés et la surpopulation.
Dans ce contexte, on trouvait à Harlem un grand nombre de distractions. Dans les
années 30-40, la vie nocturne y bat son plein. Il y a des théâtres et des clubs
à chaque coin de rue (pour autant que votre couleur de peau vous permette d'y
entrer).
Les plus célèbres comme le Cotton Club ou le Connie's Inn sont
inévitablement associés à de grands noms du Jazz et du spectacle. Fletcher
Henderson, Duke Ellington, Cab Calloway et bien d'autres y ont
débuté.
On danse, on boit, on s'amuse jusqu'à l'aube. Il y a des orchestres partout et
le piano y est roi. Les pianistes sont très demandés. Inspiré du Ragtime,
leur style a évolué vers une forme plus swing et plutôt improvisée : le Stride. Après
l'exposition d'un thème, la main droite enchaîne des variations tandis que la
gauche produit un solide accompagnement en alternant une basse et un accord. Bien
souvent la basse est jouée avec le dixième degré ce qui enrichit le jeux. Ce
mouvement caractéristique de la main gauche, "la pompe", est à l'origine
de l'appellation "stride" qui signifie : enjambée.
Chaque interprète y va de ses figures et prouesses personnelles, se livrant à
une véritable performance. Par un travail acharné et une pratique quotidienne
dans les clubs, le jeu gagne en puissance et en souplesse. Certains accompagnent
des chanteuses. Parfois au petit matin, les pianistes organisent
spontanément un "Cutting contest", véritable tournoi pianistique où
chaque participant fait son show en essayant d'impressionner l'auditoire.
Autres prestations des pianistes : les
house rent parties, sorte de soirées privées qui permettaient à un
locataire démuni de collecter l'argent du loyer en organisant une fête à
domicile. Une fois le pianiste et les boissons payées, il restait de quoi payer
le mois. Luckey Roberts
est un fameux pianiste Stride. Il a joué au Little Savoy Club avant de devenir
un habitué du Baron Wilkin's, un célèbre club de Harlem. Eubie Blake,
Russel Brooks, Henry "Hank" Duncan, Donald Lambert, Claude
Hopkins, Joe Turner,Cliff Jackson et bien d'autres encore,
ont une solide réputation. Trois d'entre eux ont marqué pour toujours l'histoire
du Jazz. Influençant des générations de pianistes, ils ont ouvert la voie de
l'après ragtime, du swing et du piano moderne.
Rippling waters Willie Smith
Willie "The Lion" Smith (1893-1973) est une figure ! Il fait partie des
trois grandes pointures du Stride. C'est un vrai Tickler, un chatouilleur comme
on les appelle à cette époque. Toujours prêt à se mesurer à un autre, il se
détache par de subtiles harmonies et un phrasé pouvant aller du plus délicat au
plus musclé. Il y a dans son style un lyrisme et une modernité bien à lui. Dans certains thèmes, la main gauche ne
fait pas forcément la pompe mais une sorte d'arpège brisé très coulé. Il joue
surtout en solo dans les clubs et les rent-parties, n'enregistrant que sur la
fin de sa carrière, lors de tournées aux USA et en europe où seul au piano, il
évoquait ses souvenirs et ses amis pianistes de Harlem.
Carolina Shout James P. Johnson (1921)
Celui-ci surpasse tous les autres. Son jeux est d'une grande précision. Il y a
mêlé bon nombre de difficultés, tonalités, rythmes, prouesses techniques,
subtiles dissonances, le tout dans un tempo immuable. C'est James P. Johnson
(1894 - 1955). Il vient de New Brunswick, NJ, où il naît le 1er février 1894.
Ses premières leçons lui sont données par sa mère puis, lorsqu'il vient à New-
York en 1908, par un professeur du nom de Bruto Gianini. Il joue bientôt les
ragtimes de Scott Joplin et ne manque pas une occasion d'écouter ceux
qu'il considère comme ses maîtres, Eubie Blake, Lukey Roberts,
Richard "Abba Labba" Mc Lean. Très tôt il se produit dans les
clubs, seul ou en petite formation, devient l'accompagnateur de la
chanteuse Bessie Smith et acquiert une solide réputation d'instrumentiste
et de compositeur. Son Carolina Shout devient le passage obligé de tout
pianiste stride ; son Charleston fait le tour du monde. Curieusement, il
n'aura pas la reconnaissance qu'il mérite. Il n'en est pas moins considéré comme
le Père du piano Stride et il a influencé plus d'une génération de pianistes.
Handfull of keys Fats Waller (1929)
Thomas
Fats Waller est la troisième célébrité. Sensibilisé très jeune à
la musique par l'orgue et les cantiques qu'il entend au Temple (son père est
pasteur), le piano devient très vite un refuge pour ce garçon turbulent qui ne
pense qu'à jouer comme ses idoles Willie Smith et James P. Johnson. Ce dernier
le prend en sympathie, l'initie très sérieusement au Stride tout en lui
apportant une solide formation musicale. Ce sera alors le début d'une carrière
exceptionnelle. Pianiste, chef d'orchestre, chanteur, compositeur, Fats Waller a
été un artiste très prolifique.
Son tempérament d'amuseur a souvent occulté ses immenses qualités de pianiste et
la critique fut parfois sévère avec cet artiste-clown qui était capable de
tourner la plus insignifiante chansonnette en un succès. Musicien accompli, son
jeux plein de gaité est résolument tourné vers le swing. Fats Waller est un
personnage enjoué et truculent qui répand instantanément la joie de vivre. Peu
porté sur les répétitions, il donne spontanément le meilleur de lui-même, qu'il
soit en club ou à la radio, seul ou avec son orchestre.
Il a marqué très profondément l'histoire du jazz par ses compositions devenues
des standards (Black and Blue, Honeysuckle rose, Squeeze me), ses nombreux
enregistrements, et bien sûr, sa présence inimitable lorsqu'il joue et chante
pour notre plaisir.
références :
Ain'tMisbehavin, the story of Fats Waller by Ed Kirkeby - Da capo press,
NY Fats Waller , Maurice Waller and Antony Calabrese - Schimmer books NY Fats Waller Fats Waller, Alyn Shipton - Omnibus Press, London
Crédit photos : The Frank Driggs collection, M. Lipskin, S. Grossman, D.Schiedt